mardi 13 février 2018

Projet Intime Festival pour les 6e générales


A l’initiative des professeurs de Français du troisième degré, les élèves de sixième générale se trouvent cette année impliqués dans un ambitieux projet proposé par le Théâtre de Namur.
L’Intime Festival, une manifestation culturelle créée par le comédien belge Benoît Poelvoorde, est initialement un salon annuel, carrefour des arts littéraires le temps d’un weekend d’août. Cette année, une formule développée et adaptée au milieu scolaire propose cinq activités étalées tout au long de l’année 2017-2018, qui ont pour objectif de faire découvrir aux élèves les différentes formes de représentation que peut revêtir la littérature de l’intime.
Ainsi, nous avons déjà eu l’occasion de découvrir un roman-choc d’Alain Blottière sur le thème du djihadisme, puis d’assister à sa mise en voix à Namur sous forme d’une grande lecture. Plus récemment, nous avons pris part à une projection de films documentaires sous la houlette de la vidéaste Lou Colpé, et avons eu la chance d’applaudir la pièce de théâtre “Laïka”. La veille de la représentation, une animatrice est venue à la rencontre des élèves à l’ISM Pesche, afin de préparer le sujet traité par le spectacle, les invisibles de notre société. Comprenez par là ces gens que nous ne voyons plus, que nous ne considérons plus, victimes de leur condition, de cette différence qui les marginalise et les décrédibilise injustement. Prenons pour exemples les SDF, les prostituées, les personnes âgées…


Pour alimenter la discussion, il nous était demandé d’apporter un document traitant le sujet. Pour ma part j’ai choisi la rédaction d’une nouvelle que je partage aujourd’hui avec vous.


Vous la trouverez ci-après ! Bonne lecture ! ;-)





Elle ne se promenait pas…



Elle déambulait lentement dans les couloirs, le dos voûté, la tête baissée. Elle se mouvait d’un pas mécanique inlassable en trainant bruyamment des pieds. Elle frappait le sol du bout de sa canne, frénétiquement, au rythme des tremblements de sa main. De l’autre, elle tirait sans arrêt un bout de son gilet ouvert, étirant le tissu malmené qui, les années passant, s’était distendu et troué. Ses petits yeux toujours écarquillés fuyaient leurs orbites et lui donnaient un air hébété. Ils étaient soulignés par d’épais traits bleuâtres car elle dormait peu. La nuit était pour elle aussi propice que le jour à la promenade, les aides soignantes et infirmières l’avaient compris. Et si une blouse blanche avait le malheur de commettre l’erreur de tenter de la reconduire, la vieille hurlait aussi fort que le lui permettait encore sa gorge éreintée et usait de son bâton sans discernement. Cela produisait un charivari qui éveillait inévitablement les résidents du home tout entier. Une déplaisante situation que le personnel soignant avait appris à éviter en la laissant flâner à sa guise, à toute heure.

Alors, elle sillonnait les couloirs du home autant de fois qu’elle comptait de rides sur son corps déchu. Croyant continuellement découvrir de nouveaux lieux, oubliant que plus tôt, elle s’y était déjà rendue.

Au gré de ses pérégrinations, elle demandait dépitée et morose à ceux qu’elle croisait : « Dites ! Z’auriez pas vu Clara ? ». Elle se figeait, attendant patiemment une réponse. Alors, dans un mélange de tristesse, de pitié et d’embarras l’interrogé lui disait : « Ne vous inquiétez pas ! Elle viendra demain votre fille Madame Perewez… »

Forte de ces paroles lénifiantes, elle se remettait en marche, esquissant un sourire, l’air bête, le regard vide et elle s’éloignait.

C’est ainsi que plus loin la même question résonnait, la même réponse aussi, telle une incessante et grotesque mélodie qui hante encore les esprits lorsqu’elle cesse. Pauvre dame, pauvre folle solitaire se disaient ceux qu’elle avait rencontrés.
De temps à autre, la vieille s’asseyait et reposait ses jambes fatiguées, pommelées de larges hématomes, s’accordant ainsi un peu de répit. De sa petite margoulette s’échappaient de légers murmures puis elle sanglotait en énonçant le nom de sa fille. Elle réclamait par-delà ce petit mot, non pas seulement son enfant mais tous les siens, ceux qui l’ont désaimée une fois l’avoir laissée là, abandonnée parmi une foule d’étrangers détraqués, dans ce home perdu dans une campagne morne et pluvieuse loin de chez elle. Ils s’étaient débarrassés d’elle comme d’une ordure qui encombre une poche, comme d’un fardeau inutile et lourd dont on se décharge avec empressement.
Chaque jours ses yeux mouillés criaient partout sa détresse sans que jamais on ne put l’aider. Une fois ses yeux séchés d’un revers de manche, elle repartait avec la volonté et l’espoir de croiser en ces murs son enfant et d’autres visages familiers. Son esprit sénile lui faisait croire qu’ils n’étaient pas loin et l’attendaient en ces lieux. Mais lorsqu’une once de lucidité réveillait comme une timide étincelle sa conscience, elle réalisait quelle était l’issue de sa triste vie. Clara et les autres, jamais elle ne reverrait leurs jeunes visages. Elle était condamnée à finir ici, son existence, prisonnière de ce mouroir de béton. Et ce malheur l’espérait-elle en regardant le bas plafond, prendrait fin lorsqu’elle s’éteindrait seule, loin des siens et de leurs images.

…Elle cherchait.     

Grégoire  Barranco                                





                             

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